L'œuvre de Germaine Bouret
(Article et images de Bernard Amigon)

Un univers de fraîcheur au prix d'une existence besogneuse.

    Morte d'épuisement à l'âge de quarante six ans; Germaine Bouret a pourtant été une dessinatrice prolifique de 1930 à 1953. Véritable bourreau du travail, elle a laissé une oeuvre fournie parmi laquelle plus de huit cents cartes postales, menus de restaurant, affiches publicitaires, gravures, livres et disques pour enfants. Ses bambins potelés et joufflus respirent la joie de vivre et une fraîcheur de plus en plus appréciées des collectionneurs. On s'arrache les illustrations de sa première période, au crayon et à l'encre de chine et plus encore ses dessins de la seconde, au fusain, colorisés à la gouache et au pastel. Pourtant, curieusement, on connaît assez peu la personnalité de cette femme secrète qui a sacrifié sa vie privée sur l'autel de sa table à dessin ...

    Née à Paris le 29 mai 1907 d'un père berrichon et d'une mère anglaise, Germaine Bouret est attirée très jeune par le dessin. A quinze ans, en 1922, elle remporte un concours national et suit des cours dans une école de dessin réputée, rue Madame à Paris. En 1924, elle entre chez Jeanne Lanvin et travaille comme dessinatrice de mode pour la célèbre maison de haute couture. En croquant chapeaux, tablier, manteaux, elle apprend le dessin de mode et perfectionne  son sens du détails, et chaque dessin représente un important travail. Elle travaillera huit mois pour la célèbre maison et dans le même temps, produira officieusement des dessins. Car l'envie de s'installer en indépendante est indépendante est la plus forte. A vingt ans, Germaine Bouret créé les Éditions Bouret au 52 , rue d'Angoulême dans le 11 ème arrondissement de Paris. Sur ses factures on lit : " gravures modernes pour encadrements, calendriers, dessus de boîtes de luxes, menus ". Ses premiers travaux seront effectivement des gravures et des menus en couleur pour les restaurants. Ses dessins évoquent de plus en plus le thème des enfants, un peu plus âgés cependant que ceux qu'elle représentera plus tard. En 1928, elle illustre deux livres, édités chez Fernand Nathan : "Touche à tout,  ses mésaventures tragiques " et " Alice au pays des merveilles ", dont les dessins sont uniquement en noir et blanc. Son style est alors reconnaissable : les traits sont fins et les personnages semblent en mouvement, mais ils ne préfigurent pas encore tout à fait de " sa patte " si particulière, représentant des enfants joufflus et potelés respirant la joie de vivre ...

    Rapidement , Germaine Bouret se spécialise dans la carte postale et les gravures sous différents formats. Les légendes sont déjà humoristiques, quelquefois osées ou à double sens et mettent des enfants dans des situations de grandes personnes. Les illustrations des menus sont aussi éditées en gravures, destinées à être encadrées ou mises sous verre. Elles orneront  pendant des générations les murs des foyers français. Son premier travail publicitaires date également de cette époque : en 1932, elle réalise pour l'huile Lesieur des fiches recettes et des feuillets publicitaires sous forme de bandes dessinées. Suivent d'autres marques comme Vitelloise, dont elle crée le slogan " l'eau qui chante et qui danse ", Jacquemaire pour l'illustration de ses boîtes de farines Blédine. Quant à Pastifrance, fourniture pour pâtissiers, dont le petit garçon et son slogan " Mangez des gâteaux souvent, c'est délicieux et nourrissant " allaient faire le tour de France pendant des décennies, la société utilise encore cette image aujourd'hui ! Pourtant  ces réalisations constituent la première période de Germaine Bouret. Le trait est assez loin de ce qu'elle réalisera par la suite et qui lui donnera ce style si particulier ...

    En 1937, Germaine Bouret participe activement à l'organisation de l'Exposition Universelle à Paris. Elle est alors au sommet de son art. Elle est maintenant installée rue Ferber, dans le 20éme arrondissement de la capitale et sa société s'est élargie aux dessins publicitaires, cartes postales, gravures, calendrier, affiches, menus. Ses dessins d'enfants aux joues rondes ornent les dessous de plat, des boîtes à sucre, des thermomètres...

    En 1938, sous le pseudonyme "King" du nom de jeune fille de sa mère, Germaine signe quelques dessins d'animaux, principalement des chiens. En pleine période de guerre, elle entreprend une série de pochettes contenant des images à collectionner. On y retrouve toujours ses bambins aux joues rondes,  accompagnés de slogans qui ne font pas toujours l'unanimité. Notamment ceux des dessins produits pour la pochette du Secours National d'Entraide du Maréchal Pétain, écrits probablement par son frère Marcel, auteur présumé des plus mauvaises légendes de l'œuvre de Germaine. Lui même caricaturiste et dessinateur, il fit partie de l'équipe de Dubout pour la réalisation d'un dessin animé.

    En 1941, Germaine Bouret est contactée par Walt Disney et la même année, elle collabore avec la maison, Arc en Ciel à la réalisation de deux petits livres à colorier.
En 1945, elle devient l'illustratrice de ses propres textes à travers les péripéties d'un ourson nommé Nounouk. Deux livres devenus cultes sortent, suivis en 1951 par "Nounouk à la mer", puis "Nounouk en relief", un livre de découpage, puis "Chansons du printemps de la vie" un recueil de chansons qui a enchanté l'enfance des sexagénaires d'aujourd'hui ! Après la guerre, la dessinatrice réalise de nombreux ouvrages, en utilisant des techniques élaborées de découpe, de collage et d'animation. Ces livres animés sont difficiles à trouver en bon état et sont très recherchés des collectionneurs.


    Vers 1950, les choses s'accélèrent . La production de cartes postales et de gravures se poursuit, mais l'essentiel des dessins à été réalisé. C'est donc vers l'impression de livres que s'oriente la dessinatrice qui est extrêmement sollicitée par les éditeurs. Pour certains de ces livres, les dessins de cartes existantes sont repris, illustrant ainsi un texte qui tente, tant bien que mal, de coller aux images. Mais pour d'autres la création est davantage présente : on demande à l'artiste d'illustrer une quantité de plus en plus importante de livres de contes, de chansons enfantines connues. C'est l'époque de la vulgarisation du disque vinyle. Une trentaine de titres seront ainsi illustrés par des créations ou de reprises d'images. Très souvent, ces livres-disques ont des livrets à l'intérieur. Germaine Bouret est une travailleuse : sa table à dessin est installée dans sa chambre. Minutieuse dans son sens de l'observation plus que dans la réalisation, elle accorde une grande importance au détail de chacun de ses dessins. En revanche, elle se moque des supports sur lesquels elle crayonne et beaucoup de ses dessins sont pliés , scotchés, mal découpés. Pour elle, se sont des documents de travail. Comment pourrait elle imaginer  que quelques décennies plus tard, des collectionneurs se les arracheraient à prix d'or ! Besogneuse à l'extrême, Germaine consacre l'intégralité de son temps à sa seule passion, refusant comme son frère de fonder une famille. Durant de longues années, douze heures par jour, elle couche ses bambins heureux sur papier. Mais elle finit par s'user à la tâche. Épuisée par le travail, elle s'effondre le 25 janvier 1953, terrassée par une crise cardiaque. La talentueuse artiste n'a pas encore fêté ses quarante six ans ! Malgré cette trop courte existence, son oeuvre demeure très prolifique, d'autant que son frère Marcel continuera de faire éditer des dessins d'elle après sa mort ...

Article de Dominique Jacquemin paru dans Le Chineur n° 71 de septembre 2003